25 juin 2017
« Ombre et lumière, thérapies et poisons coexistent dans la nature. Sachons les faire coexister en nous.«
C’est ce qu’avait publié le (merveilleux et défunt) magazine « Nouvelles Clés » en exergue d’un article écrit par Henri Gougaud et intitulé « L’arbre » . Ce devait être dans les années 90.
Je ne résiste pas au plaisir de partager aujourd’hui ce texte de sagesse avec vous, venant juste de le retrouver dans mes archives :
Dans un pays aride s’élevait autrefois un arbre prodigieux. Sur la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés et le ciel. Personne ne savait son âge. Des femmes stériles venaient parfois le supplier de les rendre fécondes, les hommes en secret cherchaient auprès de lui des réponses à des questions inexprimables, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits.
Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés le long de ses deux branches maîtresses qu’ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l’étrange et vieille vérité. La moitié de ses fruits était empoisonnée. Or tous, bons ou mauvais, étaient d’aspect semblable.
Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme, l’une portait la mort, l’autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait, mais on ne touchait pas.
Vint un été trop chaud, puis un automne sec, puis un hiver glacial. La famine envahit le pays. Seul sur la plaine, l’arbre demeura immuable. Aucun de ses fruits n’avait péri.
Les gens, voyant ce vieux père miraculeusement rescapé des bourrasques, s’approchèrent de lui, indécis et craintifs. Ils se dirent qu’il leur fallait choisir entre le risque de tomber foudroyés, s’ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles, et la certitude de mourir de faim, s’il n’y goûtaient pas.
Comme ils se laissaient aller en discussions confuses, un homme dont le fils ne vivait plus qu’à peine osa soudain s’avancer. Sous la branche de droite il cueillit un fruit, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous à sa suite se bousculèrent et se gorgèrent des fruits sains de la branche de droite qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis, parmi les verdures bruissantes. Les hommes s’en réjouirent infiniment. Huit jours durant ils festoyèrent, riant de leurs effrois passés.
Ils savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre : sur la branche de gauche. Leur vint une rancune haineuse. A cause de la peur qu’ils avaient eu d’elle, ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt aussi inutile que dangereuse. Un enfant étourdi pouvait un jour se prendre à ses fruits mortels que rien ne distinguait des bons. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu’il firent avec une joie vengeresse.
Le lendemain tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L’arbre amputé de sa moitié mauvaise n’offrait plus au grand soleil qu’un feuillage racorni. Son écorce avait noirci. Les oiseaux l’avaient fui. Il était mort.